
peinture digitale, imprimée sur plexiglas, 70×100 cm
Dans les autoportraits de Xénia Lucy Laffely, les bras s’allongent, les doigts des mains s’étirent. Ils entrent dans les yeux, les visages se déforment. Les corps se contorsionnent et se distordent. Les couleurs sont charnelles et ternes. Violets, mauves, verts, roses, rouges, noires, blancs, bleus. L’imagerie est proche du registre esthétique de la sorcière de notre imaginaire. Un imaginaire fait d’intérieurs sombres, de potions, d’êtres dits « maléfiques », d’êtres différents, à la marge. Les couleurs sont toniques, en masses. Les couleurs sont vivantes, ondulatoires, à la limite parfois même du pourrissement. Comme pour nous signifier qu’il faut passer à autre chose. À d’autres représentations, d’autres codes.
Dans une pratique riche et protéiforme, mêlant dessins numériques et art textile, l’image de la femme prend à rebours, avec sincérité et engagement, les représentations attendues. « Elle ne font pas plaisir » souligne Xénia Lucie Laffely. Dans ses autoportraits, la femme ne sourit pas « c’est une manière de contrer cette injonction que l’on fait beaucoup au femmes, celle d’être souriante, même dans la rue », poursuit-elle. Ici, les images de femmes ne correspondent pas à ce que l’on attend. Elles ne sont ni belles, ni agréables. Ni joyeuses, ni douces. Elles sont là. Devant nous. On regarde ces autoportraits qui semblent réellement se questionner. Car ce qui est frappant dans le travail de Xénia Lucie Laffely, c’est l’humanité de ces personnages malgré l’écart considérable avec toute réalité. Des personnages à la personnalité visuelle forts et dérangeants.

peinture digitale, imprimée sur plexiglas, 70×100 cm
Difficile donc, de saisir l’entièreté de ce que l’on a sous les yeux. Les images de Xénia Lucie Laffely ne cessent de remettre en question l’idée de norme. Qu’est-ce que la norme ? Qu’est-ce qu’être loin des normes ? Qui est dans la norme ? Existe-t-il réellement une norme ? Mais une norme de quoi et pour quoi faire ? Xénia Lucie Laffely aime brouiller les pistes, créer des images à plusieurs couches, créer de nouveaux narritifs où tous et toutes seraient sur un même pied d’égalité. Loin des représentations classiques en réaction aux codes dictés par une société normalisante, où les intérieurs se ressemblent, où les goûts se ressemblent, où les façons de penser se ressemblent, où les gens se ressemblent. Un monde terrifiant, comme les regards que peuvent parfois arborer certaines figures féminines dans le travail de l’artiste.
En observatrice du monde, la figure féminine chez Xénia Lucy Laffely, est un peu notre sorcière contemporaine. Une figure complexe et dissidente, rebelle et pleine d’humanité.
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Texte pour la revue Hors d’œuvre, n°44 » Réinventer le monde », 2020